BIODIVERSITĖ EN FORÊT

Visite d’observation sur une parcelle du Chat sauvage

Texte de Danielle Bergeron
Photographies de Inès Levy

Dimanche 6 novembre 2022

Le rendez-vous était fixé à 14h30, au Pont des Bruyères, tout au bout du Lac de Chaumeçon, près de Brassy (Nièvre).

Nous étions une vingtaine à rejoindre Maxime Jouve, écologue du Conservatoire des espaces naturels de Bourgogne qui, le matin déjà, lors de l’Assemblée générale du Chat sauvage était venu présenter son  travail de comptage des chauve-souris sur une des parcelles du groupement. Passionnant.

Nous avons longé en file indienne, pendant une bonne vingtaine de minutes, le sentier qui surplombe la rive  du lac  pour atteindre une des plus belles parcelles que possède le groupement et où ont eu lieu cette année les premières coupes de bois.

En chemin, nous nous sommes arrêtés au bord d’une plantation de résineux, des douglas (ou pin d’Orégon) que l’on trouve désormais partout dans le Morvan. « Un exemple de ce qu’il ne faut pas faire », a dit Maxime, avant de nous expliquer les différentes strates qui composent le sol, comment les couches supérieures issues de la décomposition des feuilles mortes sont différentes de celles que ne couvrent que des aiguilles et ce qu’il advient quand une plantation monospécifique et équienne (tous les arbres ayant le même âge) est coupée à blanc.

La qualité du sol est extrêmement importante puisqu’il sert à l’arbre à la fois de support et de source de nourriture. Et les sols sont fragiles, longs à se reconstituer, ce qui parfois s’avère impossible tant ils sont dégradés.

Par ailleurs,  une parcelle diversifiée peut abriter par exemple 15 ou 20 espèces d’oiseaux, là ou une plantation monospécifique n’en aura que 4 ou 5.

Très vite, nous sommes repassés dans un bois de feuillus et la différence non seulement entre les arbres, mais entre ce qu’on trouve dessous saute immédiatement aux yeux. Et quelle sensation de bien-être et de soulagement!

Arrivés sur la parcelle du Chat sauvage, Maxime nous a rappelé que nos milieux forestiers abritent environ 900 espèces végétales, 50 % des coléoptères, 75% des fonges, etc. On y dénombre jusqu’à 450 types de micro-habitats.

Puis notre guide a orienté notre observation vers ce qui permet d’estimer la biodiversité présente dans cette forêt.*

Il faut regarder notamment :

•Les différentes essences d’arbres autochtones: chêne sessile, charme, bouleau, hêtre…. Leur diversité  garantit qu’un plus grand nombres d’espèces peuvent y vivre. Leurs dimensions sont également importantes, car la variété d’habitats en dépend.

•La structure de la végétation avec ses différents étages -herbacé, arbustif, arborescent- abritant chacun des espèces particulières.

Des « doigts du diable » : curieux non ?

•La présence de bois morts, essentielle, car ils abritent 30% de la biodiversité forestière, qu’il s’agisse d’animaux, de végétaux, de bactéries ou de champignons. Ces bois peuvent être tombés au sol (chablis). Il peut aussi s’agir d’arbres chandelles, c’est-à-dire morts sur pied.

•Les arbres présentant un intérêt écologique, marqués d’un E et ou d’un triangle lors du martelage -marquage des arbres- effectué avec l’expert forestier qui a élaboré le plan de gestion.

Ce sont souvent de gros et vieux arbres où peuvent loger et prospérer de nombreuses espèces, grâce à leurs  «dendro-microhabitats » : trous de pics, cavités diverses,  écorces décollées, etc.

Nous avons ainsi pu ainsi constater qu’un troglodyte mignon avait fait son nid dans la plaie cicatrisée d’un chêne et apprendre que non seulement les insectes mais aussi les petites chauve-souris trouvent refuge sous les écorces. Et qu’elles changent de gîte chaque nuit.

Pour ces arbres, parfois appelés « bio » par les forestiers, les recommandations devenues habituelles d’en conserver un par hectare ne semblent pas suffisantes. Chaque arbre est un écosystème à lui tout seul.

•La présence d’animaux, leur nombre, la diversité des espèces témoignent bien sûr de la santé de la forêt. D’où l’importance d’effectuer des suivis, sur de longues périodes, comme pour les chauve-souris.

En contrepoint des indications de Maxime, Frédéric Beaucher, gérant du groupement, est également intervenu pour résumer les caractéristiques de la sylviculture choisie par le Chat sauvage : la gestion en futaie irrégulière et ses différentes phases mise en oeuvre sur la parcelle visitée.

Il a décrit l’expert forestier, chargé de décider -lors du martelage- ce que va devenir chaque arbre, comme un « expert de la lumière ». Lorsqu’on procède à des éclaircies, on coupe certains arbres pour permettre à d’autres de se développer pleinement. Maxime avait d’ailleurs évoqué la « guerre pour la lumière » que se livrent les arbres.

D’autre part, pour sortir les arbres coupés, il faut  créer des cloisonnements, c’est-à-dire des passages (tous les 20 ou 30 m dans les plantations régulières, ce qui n’est pas le cas ici) afin de protéger le reste des sols. Dans cette parcelle, ceux qui ont été ouverts sont quasiment indécelables pour un oeil non averti.

Les premiers arbres coupés cette année l’ont été pour du bois de chauffage, mais aussi du bois d’œuvre (chêne). Celui-ci, vendu à un jeune charpentier voisin, a été équarri sur place à la hache -les déchets, n’étant pas exportés, viennent enrichir le sol- et débardé à cheval.

Cet après-midi passé en forêt, outre l’agrément toujours renouvelé d’être au milieu des arbres, nous a permis de mieux comprendre la complexité de l’écosystème forestier et de mesurer l’importance d’en tenir compte dans le type de gestion appliqué.

*Il existe désormais un outil, l’Indice de biodiversité potentielle (IBP), mis au point par le CNPF (Centre national de la propriété forestière) avec l’aide de divers organismes publics pour aider à cette estimation. Il est accessible à tous, par exemple ici : https://www.cnpf.fr/nos-actions-nos-outils/outils-et-techniques/ibp-indice-de-biodiversite-potentielle

Passage du Groupement à la phase terrain

Article proposé par Christian Martin – Expert Forestier au sein du Groupement du Chat Sauvage

Après plusieurs années d’acquisition de parcelles forestières et de mise en place de ses structures, le groupement forestier du Chat Sauvage est passé (lentement) à la phase de terrain. Fort du soutien de centaines de donateurs à travers le monde, de multiples sympathisants réunis en assemblée générale en octobre 2020, d’un enthousiasme et d’une bonne humeur de bon aloi,  plusieurs personnes se sont regroupées pour tenter de mener à bien la mise en valeur des bois Chat Sauvage, toujours dans une vision naturaliste.

Et la tâche s’annonce parfois ardue tant les parcelles ont subi soit l’abandon, soit les coupes sauvages, soit un enrésinement sans lendemain.

Le petit groupe étant plutôt novice dans la connaissance forestière, quelques sorties sur le terrain ont permis de donner des bases en botanique, sylviculture et gestion des coupes.

La visite et la reconnaissance des parcelles est un préalable obligatoire pour bien en situer les limites, l’environnement, l’état des peuplements et leur avenir. La plupart, à part quelques-unes, ont été parcourues par plusieurs membres (voir article sur le marquage des parcelles).

Matériel :

Pour mener à bien cette tâche, l’achat de matériel de base a été décidé : bombes de peinture, un compas forestier pour la mesure des diamètres, appareil GPS pour la géo-situation.

Le groupe peut compter sur un télémètre laser Trupulse 200, un compas forestier, des mètres-ruban de 50 m, relascope de Bitterlich, griffe-rainette, bombes de peinture, Flore Forestière Française, feuilles de cubage, tronçonneuses, coins, tourne-bille, outils divers (Christian Martin).

Plans simple de gestion :

Confiés au cabinet d’expert forestier SUSSE en 2021, ils ont été rendus en retard, en mars 2022. Un martelage avec mesures d’arbres à exploiter a eu lieu entre l’expert et le groupe en décembre 2021

Coupes et travaux :

Toutes les parcelles étant sans entretien depuis longtemps, elles sont toutes plus ou moins urgentes ou importantes en travaux. Les plans simples de gestion nous ont donné un programme.

La parcelle de Chaumeçon (0849) : assez facile d’accès, très intéressante par sa situation et la valeur de ses arbres. Des cloisonnements d’exploitation ont été mis en place puis exploités par des acheteurs de bois de chauffage, membres du Chat Sauvage.

5 chênes, martelés en décembre, ont été vendus à des particuliers qui les ont équarris sur place.

La parcelle de Chaumeçon  plantation résineuse (épicéa et douglas) de 45 ans environ: accès long et assez difficile, jamais éclaircie et scolytée par endroit. Achat, coupe et sortie des bois effectués par un membre du Chat sauvage (Nicolas). Volume : 13,206 m3

La parcelle de Brizon (0972) : accès un peu long, mais intéressante par la valeur de ses arbres. Bois de chauffage vendu à un membre du Chat sauvage (Nicolas)

Les parcelles de Marigny-l’Eglise  (0146-0149) particulièrement intéressantes pour leur diversité et leur richesse, ont été l’objet d’une visite et étude conjointe par le CRPF de Bourgogne et des membres du Chat Sauvage en avril 2022.

Divers :

Depuis février 2022,  les membres du groupe se contactent chaque mois par visioconférence pour partager toutes les informations, prévoir les actions sur place ou se répartir les tâches : sont évoqués, entre autres, urgemment, la recherche d’artisans du bois et acheteurs locaux susceptibles d’être intéressés par la démarche du Chat Sauvage.

– En juin 2022, deux membres du groupe (Frédéric Beaucher et Christian Martin) ont participé à une réunion du Conseil Général de la Nièvre sur les « conséquences du changement climatique sur la forêt ». Ont été présentés les actions du Chat Sauvage (Frédéric Beaucher) et la gestion des forêts en sylviculture naturaliste (Christian Martin). Les réactions et les retours ont été très positifs.

– Le 21 juin 2022 : Participation à la création et la réunion d’un groupe de travail et de valorisation du « Châtaignier, bois et fruit», à Bibracte. Le châtaignier, essence très présente mais sous-estimée avec un fort potentiel dans le Morvan. Deux membres du groupe (Frédéric Beaucher et Christian Martin) ont participé.

– Le 4 juillet 2022 : après un premier contact dans sa scierie en juin, rencontre très sympathique sur nos parcelles forestières avec Tobias Muthesius et Alaïs, concepteurs et fabricants de charpente bois à Chissey-en-Morvan.

Christian Martin – 10 août 2022

Une belle journée de mai de marquage de parcelles

En ce jeudi 26 mai 2022, nous avions rendez-vous devant l’église de Montsauche pour aller marquer les limites de plusieurs parcelles du Chat Sauvage. Après quelques minutes d’attente, je commençais à me demander si j’avais bien compris le rendez-vous. Un grand inconnu me fait signe et surprise c’est Christian Martin qui est venu me chercher pour me mener sur la rue principale où Jean-Pierre Renault que je ne connaissais pas non plus nous attendait.

Tout de suite, nous commençons par les choses sérieuses, avons-nous tout ce qu’il faut pour le casse-croûte ? Pas vraiment de mon côté, heureusement l’épicerie toute proche est ouverte. J’ai vite vu que j’avais affaire à des spécialistes avec non seulement du ravitaillement mais aussi cartes, serpe bien aiguisée, casquette sur la tête, petit couteau, sac à dos et pour Christian le livre de la flore forestière française. Une vraie bible comme je l’ai découvert.

Et nous voilà partis jusqu’au pont de la Cure en bas de Palmaroux près de l’ancien gîte, pour celles et ceux qui connaissent. Je vois tout de suite que nous aurons une très belle journée riche en découvertes ! Moi, plein de questions car je ne connais pas grand-chose. Christian nous décrivant patiemment et dans le détail les plantes dont la première est une espèce invasive qui envahit tout ! Et Jean-Pierre qui, petit à petit, nous conte écrits ou rencontres théâtrales du côté d’Anost et de bien des endroits !

Venons-en aux parcelles, d’abord, il faut les trouver ! La première est au bout d’un chemin qui finit sur une culture de fraises que nous avons évidemment goutées (j’ai appris après que nous étions filmés, heureusement que nous n’avons gouté qu’une fraise !).

Ensuite, heureusement que Christian et Jean-Pierre ont l’œil, qui sur le plan et qui sur le détail qui nous guide, un fossé, un muret, un ancien chemin tout couvert de fougères et de houx.

Nous sommes enfin sur la parcelle ce que confirme le GPS du téléphone mobile quand il veut bien dire où nous sommes. Vivement, le GPS sensible que le groupe a commandé et qui doit arriver !

C’est alors que toute l’expérience forestière de Christian est à l’œuvre avec une description des essences, du hêtre majestueux au houx dont j’ai appris qu’il faisait d’excellents manches d’outils, en passant par le saule marsault (rapidement confondu avec le meursault !) aussi appelé saule des chèvres (salix caprea). Je vous avais bien dit qu’on apprenait beaucoup de choses ! Le terrain est assez humide avec une source sur le haut avec une sorte de lavoir ou abreuvoir très bien caché sous d’épaisses couches végétales et … les pieds qui s’enfoncent dans la vase…

On en oublie vite de marquer les limites du terrain et que nous avons plusieurs parcelles à visiter, tant il y a à voir.

Passons à la prochaine parcelle qui est au-dessus des tourbières de Champgazon. Celle-ci est plus facile à trouver car le long d’un chemin bien marqué et même sur le GR 13.

Cette parcelle est étonnante par sa diversité intrinsèque. Le long du chemin, elle est impénétrable alors on en fait le tour. Sur la bordure haute, grâce aux observations de Jean-Pierre et Christian, j’ai pu comprendre qu’elle a visiblement été éclaircie du fait d’arbres qui se sont couchés depuis une parcelle en vis-à-vis visiblement. Le lieu est propice pour un petit arrêt tellement il est agréable ! Cette fois ci, de nouveaux des saules marsault, on en a vu un de belle taille cassé en son milieu comme cela semble arriver souvent à cet arbre (encore une information apprise ce jour-là merci Christian !). Autant sur la bordure du haut, la parcelle a été éclaircie et agréable pour une pause et une promenade autant le reste de la parcelle est une succession d’essences variées et laissées en libre évolution sans arbre d’aussi belle apparence que sur la parcelle précédente. On y trouve aussi des charmes, des conifères avec quelques douglas mais surtout des épicéas. Le plus frappant concerne ces épicéas très fins et très hauts, assez resserrés. J’ai appris que c’était probablement une zone destinée à la production de sapins de Noël qui n’ont pas trouvé preneur et sont restés sur pied. Nous avons vu plusieurs zones sur diverses parcelles ainsi végétalisées. Cela donne des troncs fins (des « crayons ») dont certains sont brisés à mi-hauteur et d’autres couchés et à moitiés retenus par des feuillus en bordure ou d’autres sapins. On pourrait peut-être en faire des piquets à ce que j’ai compris mais pas bien plus. Enfin plus bas, nous retrouvons quelques jolis hêtres avec leur parterre rougis par leurs feuilles.

Et nous voilà partis vers la dernière parcelle de la journée !

Celle-ci aussi a besoin d’être retrouvée car cachée au milieu d’autres bois. C’est une belle hêtraie avec quelques chênes. Nous en avions vu avant mais moins qu’ici. Et stop ! Au milieu se dresse bien droit et assez jeune (20 ans) un châtaignier, l’unique spécimen de la journée. Jugé en bonne santé, pas atteint par la maladie de l’encre, il a ajouté le plaisir d’une rencontre inattendue à celui de la promenade. Cette parcelle a une forme difficile à circonscrire sur le terrain. Elle est bordée par un chemin pas évident à trouver, par un cours d’eau tout aussi difficile à trouver, mais que la lumière est belle !

Voilà, autant vous dire que si, on doit refaire des visites de parcelles, je recommande à chacune et chacun de vous d’y aller. C’est un vrai plaisir !

Merci à Jean-Pierre et Christian pour cette très belle journée.

Malik